Boys Band




























Boys Band, 2023
Christie's Paris, France
Photographs: Aurélien Mole


1996. Un mercredi après-midi, banal d’ennui. Mon père me suggère de regarder sur France 2 la diffusion des épisodes complets des Misérables, adapté du roman de Victor Hugo, avec Jean Gabin dans le rôle titre. Avec peu d’entrain d’abord, je me laisse finalement embarquer dans plusieurs heures de visionnage de cette épopée en noir et blanc.
2023. Je lis l’œuvre originale et comprends ce qui a étrangement pu captiver l’enfant que j’étais alors: la capacité qu’a eue l’auteur d’observer l’âme humaine et de la retranscrire avec autant d’acuité. À l’école primaire, pour ma part, peu inspirée par les êtres humains qui m’entouraient, à savoir ma famille dont l’histoire a été chahutée par l’Histoire, j’observais les Spice Girls. J’étais asiatique et pauvre, elles étaient caucasiennes, riches et célèbres. Ces artistes étaient le produit d’une construction culturelle alliée à un plan de communication qui magnifiait leur style de vie en un véritable art de vivre. Au-delà de la chanson, leur univers entier charriait une philosophie encapsulée dans une formule martelée en slogan, le « girl power ».
Au fil des années, ma famille étant toujours ce qu’elle était, les Spice Girls ont tour à tour laissé place à d’autres figures dont je me plaisais à décortiquer le mode de pensée et de vie. J’ai pris cette habitude à observer toute personne extérieure à mon cercle familial avec beaucoup d’attention, non pas pour imiter, mais pour comprendre. Comprendre ce qui faisait le paradigme de pensée des autres me donnait des clés pour forger un modèle social et économique dans lequel je me sentais à ma place, et surtout, dans lequel j’allais pouvoir moi aussi créer mon propre langage.
Ces figures dont j’ai observé les gestes ont toutes un point en commun, ce sont des artistes. Peintre, photographe ou artisan, ce sont des figures dont la posture a résonné en moi à un moment précis de mes questionnements existentiels, et a fortiori esthétiques. Car les œuvres des artistes sont à mon sens le substrat à la fois de leurs doutes et réflexions, mais aussi de leur morale. L’absence de modèle parental dans mon enfance a eu ceci de bénéfique qu’elle m’a permis de me construire un modèle de morale à travers une famille que je me suis choisie, ma famille artistique.
Lorsque Christie’s m’a invitée à convoquer un corpus d’œuvres signifiant autour de mon propre travail, je me suis remémoré ces figures. Une autre évidence a émergé: ne me venaient à l’esprit que des hommes. J’ai grandi dans un monde où malheureusement, l’Histoire la plus largement diffusée ne retient en premier lieu que les hommes. Dans le monde de l’Art, le « girl power » de mon enfance avait laissé beaucoup de place aux boys, qui du reste n’en méritaient pas moins d’attention. Car talentueux, intelligents et indépendants d’esprit, ils l’étaient.
L’histoire que je tente de tisser aujourd’hui crée un nœud entre ces hommes et moi. C’est en regardant leurs gestes et en plongeant dans leurs questionnements que j’ai puisé de la ressource pour nourrir les miens. Le Boys Band présenté ici compte une Spice Girl.